L'ASN considère que le choix actuellement retenu par les grands exploitants français d'un démantèlement immédiat est satisfaisant, dans la mesure où celui-ci permet, entre autres, de ne pas en faire porter la responsabilité sur les générations futures.
L'ASN estime en effet que le maintien dans un état de sûreté satisfaisant des installations à l'arrêt dans l'attente d'un démantèlement différé conduit à des dépenses importantes de surveillance, de maintien en état et éventuellement de jouvence, ainsi qu'à des difficultés de motivation des effectifs présents et de perte de mémoire de l'historique de l'exploitation.
La stratégie d'un démantèlement immédiat est également conforme aux recommandations de l'Agence internationale de l'énergie atomique.
Zoom sur les stratégies d'EDF, du CEA et d'Orano
L’ASN instruit régulièrement la stratégie de démantèlement et de gestion des déchets radioactifs des « grands » exploitants nucléaires
En plus du contrôle qu’elle réalise sur chaque installation, l’ASN demande aux exploitants nucléaires les plus importants (Orano, CEA, EDF) d’exposer leur stratégie globale de démantèlement et de gestion de leurs déchets radioactifs pour l’ensemble de leurs installations. Ces stratégies sont mises à jour régulièrement et instruites par l’ASN. Cela permet à l’ASN d’avoir une vision globale et prospective à plus de 10 ans des stratégies des exploitants, de s’assurer de la cohérence de ces stratégies et de l’anticipation par les exploitants des actions à mener pour les réaliser dans les meilleures conditions. Cette vision est indispensable afin notamment d’anticiper les besoins de création d’installations d’entreposage de déchets radioactifs (ex : ICEDA), de développement de nouveaux types de conditionnement ou de conteneurs de transports, ou encore les moyens à prévoir pour la réalisation des opérations.
EDF : des retards sur le programme de démantèlement de la 1ère génération de centrales nucléaires
La stratégie initiale d'EDF pour le démantèlement des réacteurs nucléaires de première génération, mise en œuvre depuis les années 1980, consistait à réaliser le démantèlement des installations (hors bâtiment du réacteur) rapidement après l'arrêt de la centrale (en pratique, dans un délai de 5 à 10 ans) et à différer le démantèlement du bâtiment du réacteur conduisant à la libération totale et inconditionnelle du site pendant une durée de 25 à 50 ans après l'arrêt de la centrale.
Le démantèlement complet des installations était alors envisagé par EDF après plusieurs dizaines d'années de confinement afin de pouvoir bénéficier de la décroissance naturelle de la radioactivité.
L'ASN avait émis des doutes quant à la capacité d'EDF à démontrer la tenue mécanique des installations et plus particulièrement les structures de génie civil, pendant cette durée.
En avril 2001, EDF a informé l'ASN d'une profonde modification de sa stratégie quant au démantèlement des réacteurs de première génération en retenant désormais un programme de démantèlement complet et immédiat sur 25 ans, sans période d'attente (à l'horizon 2025).
EDF a programmé en priorité le démantèlement, dans un premier temps, des silos de Saint-Laurent-des-Eaux, de l'installation EL4-D sur le site des Monts d'Arrée, de Superphénix, de Chooz A et de Bugey 1, et, dans un second temps, le démantèlement des 5 réacteurs de la filière UNGG (Uranium Naturel Graphite Gaz) de Chinon A et Saint-Laurent-des-Eaux A.
La stratégie de démantèlement d’EDF remise en avril 2001, qui présentait un programme permettant d’engager le démantèlement des centrales de première génération dont l’achèvement était prévu à l’horizon 2036, a fait l’objet d’un examen par le Groupe permanent d’experts (GPE) compétent en mars 2004. Sur la base de cet examen, l’ASN a conclu en 2004 (lettre DGSNR/SD3/n°0459-2004 du 28 juin 2004) que la stratégie de démantèlement des réacteurs de première génération retenue par EDF ainsi que le programme et l’échéancier étaient acceptables du point de vue de la sûreté et de la radioprotection sous réserve de la prise en compte d’un certain nombre de demandes et du respect des engagements pris par EDF sur les questions de faisabilité du démantèlement, de sûreté, de radioprotection, de gestion des déchets et des effluents.
EDF a transmis, en juillet 2009, une mise à jour de sa stratégie de démantèlement. Le dossier comprend un point sur l’avancement du programme de déconstruction et présente les grands jalons à venir. L’état des réflexions sur la stratégie de démantèlement du parc en exploitation actuel est présenté.
L’ASN a considéré que la stratégie était globalement convenable dans ses principes mais nécessitait certains compléments, notamment concernant les solutions alternatives pour la gestion des déchets de graphite. L’ASN a en particulier insisté sur l’importance de ne pas conditionner le démantèlement des caissons des réacteurs UNGG à la mise en service du centre de stockage des déchets de type faible activité à vie longue et d’envisager la possibilité d’entreposages intermédiaires.
Comme demandé par l’ASN (Courrier CODEP-DRC-2012-002702), EDF a transmis une mise à jour de la stratégie de démantèlement de ses réacteurs en octobre 2013. L’ASN avait demandé au préalable à EDF d’inclure dans ce dossier une étude des solutions alternatives pour la gestion des déchets de graphite afin de ne pas conditionner davantage le démantèlement des caissons des réacteurs UNGG à la mise en service du centre de stockage des déchets de type faible activité à vie longue (FA-VL). En effet, elle note que, dans le cadre du démantèlement des réacteurs de type UNGG, la question de l’exutoire pour les déchets de graphite est une difficulté pour la bonne mise en œuvre de cette stratégie de démantèlement immédiat. Le collège de l’ASN a auditionné EDF sur cette question le 9 décembre 2014.
Ce dossier a fait l'objet d'un examen par le groupe permanent d’experts en juin 2015.
Le 29 mars 2016, l'ASN a auditionné EDF qui a présenté une nouvelle stratégie de démantèlement des réacteurs de type « UNGG ». Cette nouvelle stratégie conduit à décaler de plusieurs décennies le démantèlement de certains réacteurs au regard de la stratégie affichée par EDF en 2001 et mise à jour en 2013.
L’ASN a adressé en juillet 2016 à EDF un courrier de demandes complémentaires afin notamment de vérifier l’acceptabilité de la nouvelle stratégie au regard des exigences législatives relatives au «démantèlement dans un délai aussi court que possible ».
EDF a transmis ces éléments en 2017. L’ASN les a instruits et envisage d’encadrer le démantèlement des UNGG par décision. Le projet de décision impose à EDF de réaliser les opérations de démantèlement qui peuvent d’ores et déjà l’être et de déposer, au plus tard en 2022, les dossiers de modification de démantèlement qui s’imposent. Il précise le contenu des scénarios qui devront être étudiés dans ces dossiers.
En savoir plus
- Consulter la note d'information sur l'audition d'EDF sur les projets de décision visant à encadrer le démantèlement des réacteurs de première génération de type « uranium naturel graphite-gaz
- Consulter la note d'information publiée le 2 juin 2016 après audition d'EDF sur la stratégie de démantèlement des réacteurs de 1ère génération ("UNGG")
- Consulter le courrier adressé par l'ASN en juillet 2016, précisant ses exigences sur le changement de stratégie de démantèlement des réacteurs de 1ère génération ("UNGG") par EDF
- Consulter la note d’information sur le projet de décision encadrant le démantèlement des réacteurs UNGG d’EDF
- Consulter la note d'information sur l'audition d'EDF sur le démantèlement des réacteurs de 1ère génération ("UNGG") consécutive à l'audition du 30 juin 2017
La stratégie du CEA : l’ASN constate des difficultés du CEA dans la mise en œuvre de la stratégie de démantèlement immédiat et complet
A la demande de l'ASN, le CEA a transmis en 2004 un plan de démantèlement à 10 ans de ses installations. Ce plan concerne des installations de nature variée (laboratoires, usines pilotes, réacteurs expérimentaux, installations de traitement d'effluents et déchets) réparties sur l'ensemble des sites. Ce dossier a été soumis aux groupes permanents d'experts compétents en décembre 2006.
L'ASN avait considéré que la stratégie retenue par le CEA, soutenue par la mise en place d'un fonds dédié était globalement satisfaisante du point de vue de la sûreté.
Compte tenu des retards récurrents et du report de plusieurs échéances dans les opérations de démantèlement sur certaines installations, le CEA a transmis en 2011, sur demande de l’ASN, un rapport d’étape présentant la mise à jour de cette stratégie,justifiant les échéances retenues et précisant les raisons, de nature technique ou non, à l’origine des retards constatés. En réponse, l’ASN a rappelé en novembre 2011 sa position concernant la priorité donnée au démantèlement immédiat, les niveaux d’assainissement à atteindre, le recours aux servitudes d’utilité publique et a rappelé les objectifs calendaires associés à certaines opérations de démantèlement.
Le CEA n’ayant pas transmis de mise à jour de sa stratégie de démantèlement, l’ASN a demandé au CEA en juillet 2015, avec l’ASND, qu’une mise à jour de la stratégie de démantèlement et de gestion des déchets du CEA lui soit transmise en 2016. Le CEA a transmis, en décembre 2016, le résultat de ces travaux. Compte tenu du nombre et de la complexité des opérations à réaliser pour l’ensemble des installations nucléaires concernées, le CEA a défini des priorités, reposant principalement sur l’analyse des potentiels de danger, afin de diminuer les risques présentés par ces installations. L’ASN et l’ASND estiment qu’il apparaît acceptable, compte tenu des moyens alloués par l’État, et du nombre important d’installations en démantèlement, pour lesquelles des capacités de reprise de déchets anciens, ainsi que d’entreposage, devront être construites, que le CEA envisage un échelonnement des opérations de démantèlement. Cet échelonnement permet de limiter le coût annuel des opérations, mais, compte tenu des actions nécessaires pour surveiller et maintenir dans un état de sûreté suffisant les installations les moins prioritaires, augmente le coût final.
Cependant, au vu des calendriers prévisionnels présentés, même en l’absence d’aléas et de retards sur les projets, la réduction des risques ne sera pas effective avant, au mieux, une dizaine d’années. En effet, de nombreux projets de RCD, classés prioritaires, nécessitent la création ou la rénovation préalable de moyens de reprise, de conditionnement et d’entreposage des matières et des déchets radioactifs, ainsi que de transport associés. Aussi, malgré l’organisation pertinente mise en place par le CEA récemment pour gérer son programme de démantèlement dans la durée, l’ASN et l’ASND s’interrogent sur la robustesse du plan d’action du CEA et les moyens disponibles, tant humains que financiers, pour traiter au plus tôt l’ensemble des situations présentant les enjeux de sûreté ou les nuisances pour l’environnement les plus importants. Les deux autorités constatent plusieurs fragilités dans la stratégie du CEA, du fait notamment de la mutualisation entre centres envisagée par exemple pour la gestion des effluents radioactifs aqueux ou des déchets radioactifs solides, conduisant à ne disposer, pour certaines opérations, que d’une seule installation. Cette stratégie induit, d’une part, une forte augmentation du nombre de transports et, d’autre part, de fortes incertitudes relatives à la disponibilité des installations de traitement, de conditionnement et d’entreposage des matières et déchets radioactifs, ainsi que des emballages de transport. Les deux autorités notent aussi des incertitudes relatives à la gestion des combustibles usés ou des matières irradiées, qui devra être précisée.
L’ASN et l’ASND ont donc fait plusieurs demandes au CEA visant à limiter ces fragilités, à consolider sa stratégie et à préciser le calendrier de réalisation. Elles demandent que le CEA rende compte régulièrement de l’avancement des projets de démantèlement et de gestion des déchets, et qu’une communication régulière vis-à-vis du public soit réalisée, suivant les modalités appropriées à la nature des installations, civiles ou de défense. Elles souhaitent, enfin, que soient mises en œuvre des dispositions de contrôle particulières quant à l’avancement de ces projets.
En savoir plus
Consulter la note d'information sur la prise de position conjointe de l’ASN et l’ASND sur la stratégie de démantèlement et de gestion des matières et déchets du CEA
La stratégie du groupe Orano (ex AREVA NC)
Pour ce qui concerne Orano (ex AREVA NC), la stratégie de gestion des déchets de l’établissement de La Hague a fait l’objet d’un examen par le groupe permanent d’experts réuni par l’ASN en 2005. En janvier 2006, par courrier (Lettre DGSNR/SD3/0036/2006 du 11 janvier 2006), l’ASN a fait part de sa position sur cette stratégie. La stratégie de gestion des déchets sur le périmètre de l’INBS AREVA NC du Tricastin a également fait l’objet d’un examen en 2012 par la commission de sûreté pour les laboratoires, usines et déchets. En décembre 2012, l’ASND a fait part à AREVA NC de sa position sur cette stratégie.
Concernant la stratégie de démantèlement des installations du site de La Hague, elle a fait l’objet d’un examen par l’ASN le GP en 2011 à l’occasion de l’instruction des dossiers de demande d’autorisation de mise à l’arrêt définitif et de démantèlement (MAD DEM) des anciennes usines de La Hague. Cette instruction a conduit à la publication en novembre 2013 de trois décrets d’autorisation de MAD DEM.
Le démantèlement d’installations anciennes constitue un enjeu majeur pour Orano qui doit mener, à court, moyen et long termes, plusieurs projets de démantèlement de grande envergure (usine UP2-400 de La Hague, usine Eurodif Production, installations de l’INBS de Pierrelatte,…). La mise en œuvre de ces projets est étroitement liée à la stratégie de gestion des déchets compte tenu de la quantité et du caractère non standard et difficilement caractérisable des déchets générés lors des opérations de démantèlement.
A La Hague, l'ASN prescrit à AREVA les modalités de reprise et de conditionnement des déchets radioactifs anciens.
De plus, les opérations de préparation à la mise à l’arrêt définitif nécessitent l’évacuation des déchets de fonctionnement présents dans l’installation. Dans certains cas, par exemple pour des installations anciennes d’entreposage de déchets exploitées sur le site de La Hague, des opérations de reprise et de conditionnement des déchets anciens (RCD) doivent être menées.
Ainsi, l’ASN et l’ASND ont décidé d’examiner à l’échelle nationale les orientations stratégiques envisagées par Orano pour la gestion de l’ensemble de ses déchets et pour le démantèlement de ses installations. Ces stratégies doivent être cohérentes avec les orientations nationales du Plan national de gestion des matières et déchets radioactifs, les dispositions de l’arrêté du 7 février 2012, les codes de l’environnement, de la défense, de la santé publique et du travail et les différentes stratégies d’exploitation de l’ensemble des installations du groupe Orano. Ces stratégies s’appliquent tant aux installations civiles qu’aux installations secrètes exploitées par le Groupe. Elles ont été transmises par Orano en juin 2016. L’ASN estime qu’Orano doit renforcer sa capacité à prioriser les opérations en fonction des enjeux des installations à démanteler. Les moyens humains et techniques d’Orano doivent être renforcés pour respecter les échéances de ces projets. L’ASN et l’ASND ont mobilisé une expertise importante pour l’instruction de cette stratégie et prendront position en 2019 sur ce dossier.
Retour sur l'historique des stratégies de démantèlement en France
- Début des années 1960 : premières opérations d'assainissement et de démantèlement d'installations nucléaires
- Années 1960-1970 : démantèlement de quelques laboratoires de recherche, réacteurs expérimentaux et installations du cycle du combustible
- A partir du milieu des années 1980 : plusieurs réacteurs de puissance sont partiellement démantelés ou ont entamé des travaux de démantèlement complet
- Années 1980-1990 : démantèlement ponctuel de certaines installations (principalement de recherche)
- A partir de la fin des années 1990 : les opérations de démantèlement entrent dans une phase industrielle, employant des technologies et des méthodologies éprouvées sur de plus grandes échelles
- A partir de 1997 : changements importants de stratégie chez les grands exploitants nucléaires français
- 2006 : lois TSN et « déchets » mettant en œuvre un mécanisme de provisionnement des charges de démantèlement et de gestion des déchets. Consulter la loi « déchets »
- 2015 : loi relative à la transition énergétique pour la croissance verte qui inscrit dans la loi le principe du démantèlement immédiat