88 Le tritium dans l’environnement activité prélevés in situ ou au contraire d’échantillons provenant d’expérimentations, de même que les précautions nécessaires lors de sa manipulation en laboratoire. Pour ces raisons, il paraît difficile d’améliorer significativement la connaissance précise du comportement du tritium dans l’environnement terrestre. La modélisation des transferts de tritium au sein des hydrosystèmes continentaux est aujourd’hui incomplète. Pour ce qui concerne les processus physiques, ce sont les mécanismes de transport, diffusion et dispersion qui sont principalement traités, et ce pour la forme HTO dans la colonne d’eau. Les interactions aux interfaces (air et sédiments) ainsi que les échanges HTO↔OBT ne sont généralement pas traitées, sans que leur importance soit véritablement connue. Concernant les transferts de tritium aux organismes aquatiques, la plupart des modèles disponibles reposent sur une hypothèse d’équilibre isotopique ; il a été prouvé qu’elle était généralement satisfaisante pour le tritium libre des tissus. La modélisation des concentrations d’OBT dans les organismes aquatiques, moins fréquemment réalisée, est abordée de manière plus diverse, avec parfois une approche dynamique incluant des processus physiologiques. Ce sont d’ailleurs ces modèles qui donnent les résultats les plus proches des résultats des mesures lors des comparaisons modèles-mesures. Ils demandent cependant encore à être améliorés et validés. Finalement, l’état de la modélisation reflète celui des connaissances sur les transferts de tritium, les aspects demandant à être approfondis se rapportant principalement aux formes organiques. 8 Effets toxiques du tritium pour les organismes vivants terrestres et aquatiques 8 1 Mécanismes d’interaction aux niveaux moléculaire et cellulaire Le tritium est un émetteur bêta dont le rayonnement est de faible énergie (l’énergie maximale des électrons émis est de 18,6 keV, l’énergie moyenne est inférieure à 10 keV) et donc d’un faible pouvoir pénétrant (parcours libre moyen dans l’eau de 0,56 µm). De ce fait, le stress radiatif que peut engendrer le tritium est principalement lié à l’irradiation interne en cas d’incorporation à différents niveaux d’organisation biologique par un organisme vivant. La faible énergie du rayonnement peut conduire à un facteur amplificateur des conséquences biologiques lorsque le tritium est incorporé à la matière vivante, car le dépôt d’énergie se concentre localement. Ainsi, le parcours moyen du rayonnement bêta est du même ordre de grandeur que la dimension du noyau cellulaire et, lors de l’intégration de tritium à l’ADN du noyau cellulaire (par des nucléotides marqués au tritium), 70 % de l’énergie se dépose dans le noyau (NCRP, 1979). A l’inverse de ce qui se passe pour d’autres radionucléides comme les isotopes de l’uranium, le tritium n’a aucune toxicité chimique puisque ce radionucléide est un isotope de l’hydrogène auquel il peut se substituer sous forme de gaz hydrogène (HT), d’eau tritiée (HTO) ou dans des molécules organiques (tritium organiquement lié ou OBT). Lors d’une exposition importante sur une courte durée, l’incorporation de tritium dans les molécules organiques est faible, pour des raisons de cinétique de réaction, et l’essentiel de la dose (80% à 90 %) est imputable à l’eau tritiée. A l’opposé, dans les cas d’exposition chronique, c’està-dire prolongées sur des périodes significative vis-à-vis de la durée de vie de l’organisme, le pourcentage de tritium organiquement lié observé dans différents types d’organismes végétaux et animaux, augmente jusqu’à 20 à 70 % (Komatsu et al., 1981; Mathur-De Vré and Binet, 1984), en raison du renouvellement plus faible du tritium organique comparativement à celui de l’eau tritiée. Ainsi, chez les mammifères, la période biologique du tritium est en moyenne de 10 jours pour l’eau tritiée et peut varier de quelques jours à plusieurs années pour le tritium organiquement lié, en fonction du caractère labile des atomes d’hydrogène auxquels il se substitue dans les molécules organiques et de la durée de vie de la biomolécule (NCRP, 1979). De façon logique, le taux de renouvellement des cellules dans lesquelles le tritium s’incorpore joue également un rôle important, puisqu’il sera retenu plus longtemps dans les cellules ayant un faible taux de renouvellement (e.g. neurones ou ovocytes). De même, le stade de vie des organismes exposés gouverne la distribution de l’OBT compte tenu du taux de renouvellement cellulaire. Pour les adultes, l’OBT est majoritairement incorporé dans les tissus à renouvellement rapide, alors que, pour l’embryon, il se retrouve dans tous les tissus. Comme la plupart des radionucléides, les radiations ionisantes émises par le tritium peuvent provoquer diverses lésions de l’ADN qui constituent un point crucial pour l’analyse des effets et in fine l’évaluation du risque lié à l’exposition au tritium, avec un large spectre de conséquences biologiques possibles (cancers, effets génétiques, anomalies du développement et effets sur la reproduction) (Straume and Carsten 1993). Divers types de lésions de l’ADN sont susceptibles d’être observés après une exposition au tritium (Moiseenkoet al., 2001), notamment des cassures double brin (CDBs) dont les conséquences délétères sont avérées. Des études menées sur des lignées cellulaires de mammifères exposées à un précurseur de l’ADN marqué au tritium (3H-thymidine) ont montré que ces CDBs sont principalement réparées par le processus de recombinaison homologue (Saintigny et al., 2008). Ce phénomène de réparation des CDBs est essentiel au maintien de la stabilité génomique mais peut conduire, en cas d’excès, à des instabilités chromosomiques. Dans le cas du tritium, contrairement au cas des émetteurs de rayonnements gamma, ces réarrangements génomiques sont fortement induits dans le domaine des faibles doses, pour lesquelles aucune cytotoxicité n’est observée. Cette absence de toxicité cellulaire induit un surcroît de danger pour les organismes multicellulaires puisque la survie des cellules porteuses de réarrangements génomiques accroît les risques d’induction et de transmission transgénérationnelle d’altérations génétiques. 8 2 Efficacité biologique relative du tritium pour les espèces non-humaines L’effet d’une dose de rayonnement absorbée dépend de la nature et de l’énergie du rayonnement correspondant. Cette influence est prise en compte en introduisant un facteur de pondération caractéristique du rayonnement, dénommé RBE (Relative Biological Effectiveness), qui traduit l’efficacité relative des différents types de rayonnements à produire un même effet biologique. Expérimentalement, le RBE est le rapport entre la dose (ou le débit de dose) absorbée d’un rayonnement de référence (X ou γ) induisant un effet dans un système biologique donné et la dose absorbée du rayonnement en question nécessaire pour produire le même effet dans le même système. Cette notion n’est aujourd’hui guère utilisée que pour la radioprotection humaine du fit d’un manque de connaissances sur sa pertinence pour les espèces non humaines pour lesquelles les effets d’intérêt sont de type déterministe. Pour ce qui concerne l’efficacité biologique relative du tritium, il existe très peu de données pour les espèces non humaines et pour des critères d’effet pertinents au plan écologique. Récemment, une compilationdes valeurs deRBEpubliées accompagnée d’indications sur leur pertinence pour des applications au cas d’espèces non humaines et pour des effets de nature déterministe a été diffusée dans le cadreduprojet ERICA (ERICA, 2006). Pour cequi concerneplus spécifiquement le tritium (HTO ou molécules marquées), il n’existait alors que six études in vivo (aboutissant à 7 valeurs de RBE) sur les effets du tritium sur la reproduction des vertébrés (mammifères et poissons). Les valeurs de RBE (Tab. 8.1) sont comprises entre 1 et 3,5.
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