270 Le Tritium : un risque sous-estimé Par ailleurs, la différence demasse atomique entre des isotopes d’unemême famille conduit à ce qui est communément appelé un « effet isotopique ». La différence de masse entre le tritium et l’hydrogène (un facteur 3) est susceptible de produire un effet discriminant entre ces deux éléments. Des données scientifiques plus récentes suggèrent une concentration renforcée de tritium au niveau de la couche d’hydratation intimement liée à l’ADN. Bien qu’il ne s’agisse pas de tritium organiquement lié au sens usuel, Baumgartner et collaborateurs ont clairement montré un enrichissement d’eau tritiée liée à des macromolécules (par comparaison à l’eau libre dans la cellule). Cet enrichissement en tritium est d’un facteur 1,4 pour l’eau d’hydratation des protéines et d’un facteur 2 pour l’eau d’hydratation de l’ADN [BAUMGARTNER, 2004]. 5 Une première conclusion En l’état actuel des connaissances et par précaution, l’ACRO estime que la CIPR devrait dès maintenant réévaluer le risque radio-induit lié au tritium en affectant un facteur de pondération w T = 5 pour le rayonnement bêta de cet isotope. Certes, le système de radioprotection institué par la CIPR est avant tout un système de gestion du risque radiologique et, à ce titre, il doit limiter la complexification du système. Néanmoins, avec la récente CIPR-103, la Commission n’a pas hésité à modifier les facteurs de pondération pour les neutrons (en adoptant des fonctions continues complexes) et à réduire par un facteur 2,5 le w T attribué aux protons. Enfin, alors que la CIPR prétend que son système de radioprotection s’appuie sur le principe de précaution, il n’est pas acceptable que la Commission continue à sous-estimer un risque, qui prend une grande proportion sur le plan environnemental, sous prétexte de simplification. En attendant cette réévaluation, les autorités françaises doivent anticiper l’augmentation très probable du facteur de pondération. 6 Comportement environnemental Dans l’environnement, le tritium ne semble pas se comporter comme le prédisent les modèles4. De nombreux animaux marins ou de rivières ont des concentrations en tritium qui sont plus fortes que celle dans l’eau environnante. Il n’y a pas d’explication claire de ce phénomène pour le moment. Tout le tritium est-il rejeté sous forme d’eau tritiée ? N’y a-t-il pas des rejets sous autres formes chimiques qui échappent aux contrôles ? Ou, plus directement, peut-il exister un mécanisme de bioaccumulation (terme employé par les autorités anglaises en charge du contrôle de l’environnement) non encore élucidé ? A notre connaissance, aucune donnée environnementale ne met en évidence le phénomène inverse. Ces observations tendent donc à accentuer l’impact du tritium dans l’environnement et doivent aussi être prises en compte. 7 Conséquences pour les rejets tritiés Conformément à l’article 6 de la directive 96/29/Euratom, « la justification des catégories ou types de pratiques existants peut faire l’objet d’une révision chaque fois que des connaissances nouvelles et importantes concernant leur efficacité ou leurs conséquences sont acquises ». La réévaluation en cours au niveau européen de la radiotoxicité du tritium impose donc de revisiter les pratiques concernant les rejets et le stockage des déchets tritiés. En application du principe de précaution, les autorisations de rejet devraient être revues à la baisse. Rappelons que les engagements de la France vis-àvis de la convention d’OSPAR vont dans le même sens pour les rejets dans l’Atlantique Nord. Ce n’est malheureusement pas la tendance actuelle. Nous sommes conscients que le tritium peut difficilement être capté et que son stockage pause des problèmes, comme le montre le cas du centre de stockage de la Manche qui contamine encore les nappes phréatiques. Il faut donc viser à réduire sa production en amont. Les demandes récentes d’EDF d’augmenter ses rejets tritiés suite à l’utilisation de nouveaux combustibles à haut taux d’enrichissement, n’ont pas été justifiées. Aucun bilan environnemental de cette nouvelle pratique n’ayant été présenté, l’ACRO fait sienne la conclusion de l’ANCCLI qui, à l’issue d’un colloque pluraliste sur le sujet, a demandé qu’«aucune augmentation des rejets de tritium [ne soit permise] tant que les effets liés à une exposition chronique à cet élément ne seront pas mieux connus». Elle regrette aussi que des autorisations de rejet à la hausse aient été délivrées alors que les travaux de ces groupes n’étaient pas terminés. Cela viole l’esprit de la conventiond’Aarhus qui doit encadrer toute concertation en matière d’environnement. Il en est de même pour la production de tritium militaire qui n’a jamais été justifiée ni débattue démocratiquement. L’ACRO aimerait connaître les stratégies mises en place pour diminuer cette production dans un contexte international qui tend vers une réduction des arsenaux nucléaires des grandes puissances. 8 Conclusion Il y a 10 ans déjà, lors d’un colloque de la SFRP5 centré sur le tritium, l’ACRO était intervenue pour demander que soit réévalué le risque associé au tritium notamment en prenant mieux en compte les EBR définis expérimentalement. Nous n’avons pas cessé de porter sur la place publique les nouvelles données de la littérature scientifique et d’interpeller les pouvoirs publics face aux tentatives de banalisation des rejets de tritium dans l’environnement. L’ACRO continuera inlassablement à réclamer que le risque radio-induit lié au tritium soit revu à la hausse et que toutes les conséquences soient tirées en matière de plans de surveillance environnementale (analyses OBT) et d’évaluation de l’impact sanitaire. Enfin l’ACRO estime que la question du Tritium mérite que des axes de recherche soient fortement soutenus en particulier dans le domaine de l’épidémiologie (conduire des études d’envergure internationale comme cela a été fait pour le radon), dans celui d’une meilleure connaissance des effets à l’échelle cellulaire et sur la question d’une possible bioaccumulation dans l’environnement. 4 Voir la contribution d’A. Guillemette et J. C. Zerbib à ce livre blanc. 5 Colloque sur le tritium organisé par la Société Française de Radioprotection. Octobre 1999.
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