252 Les effets biologiques et sanitaires du tritium : questions d’actualité promotion, en général dose dépendantes, des leucémies et de tous les types de cancers après une contamination par le tritium (Myers et Johnson, 1990 ; Johnson et al., 1995 ; Török et al., 1979 ; Gragtmans et al., 1984 ; Mewissen et Rust, 1973 ; Balonov et al., 1993 ; Yamamoto et al., 1995), ainsi que des effets sur la descendance de parents exposés au tritium avant la conception : mortalité embryonnaire et périnatale, réduction de la taille des portées, réduction pondérale, malformations congénitales, mortalité néonatale (Carsten et al., 1977 ; Mewissen et Ugarte, 1979), Mewissen et al. (1987) suggérant pour leur part l’apparition de tumeurs. 2 2 Les effets cellulaires précoces et l’approche microdosimétrique D’assez nombreuses études in vivo (e.g. Jha et al., 2005) ou in vitro (e.g. Kamiguchi et al. 1990a,b) ont porté sur les effets cellulaires précoces (micronoyaux, cassures simple/double brin, mutations létales dominantes…) d’une contamination par l’eau tritiée, plus rarement par du tritium organiquement lié (e.g. Balonov et al. 1993). L’efficacité biologique du tritium apparaît extrêmement variable selon les composés et les effets étudiés (12 fois plus pour la thymidine tritiée que pour d’autres composés (Balonov et al. 1993), 2 à 104 fois pour la thymidine tritiée selon les composés étudiés (Paquet et Métivier, 2008)). L’approche microdosimétrique quant à elle permet d’affiner l’évaluation de la dose et de mieux connaître la nature des dommages sur les structures sensibles du noyau cellulaire, autorisant ainsi une évaluation plus réaliste du facteur de pondérationw R aujourd’hui considéré comme égal à 1 par la Commission Internationale de Protection Radiologique (CIPR) (ICRP, 2007a). Ces études ne permettent naturellement pas d’extrapoler à des effets sanitaires. 2 3 L’évaluation de l’efficacité biologique relative L’évaluation de l’efficacité biologique relative enfin permet d’estimer l’efficacité biologique du tritium par comparaison avec l’efficacité biologique d’autres types de rayonnements telle qu’elle a été établie chez les populations exposées aux bombardements d’Hiroshima et Nagasaki. En ce qui concerne l’administration d’eau tritiée à faible dose et faible débit de dose, une synthèse de nombreuses données conclut à un coefficient d’efficacité de 1,2 et 2,5 par rapport aux rayons X et gamma respectivement pour l’apparition d’effets aléatoires tardifs (tumeurs) (Little et Lambert, 2008). Ce coefficient serait de 1 à 2 pour les effets cellulaires précoces (survie cellulaire, micronoyaux, aberrations chromosomiques, conversion de gènes, mutations) (Duport et al., 1996). Par delà les limites déjà soulignées, la démarche exposée précédemment soulève de nombreuses interrogations, certaines spécifiques au tritium, d’autres d’ordre général. Ces interrogations portent sur quatre points : les formes du tritium étudiées, l’évaluation de la dose effective engagée, les effets sanitaires étudiés et l’évaluation de l’efficacité biologique relative. 3 Questions d’actualité 3 1 Les formes du tritium étudiées Les études disponibles concernent enmajorité la contamination par l’eau tritiée. Les composés métalliques et certains composés organiques sont par contre peu documentés. La forme liée aux molécules biologiques l’est insuffisamment, s’agissant notamment de son effet sur le foetus. Bien que témoignant d’une grande variabilité, les résultats disponibles font apparaître une toxicité de la forme liée OBT supérieure à celle de l’eau tritiée : dose engagée au foie deux fois plus élevée après ingestion de nourriture tritiée qu’après consommation d’eau tritiée (Takeda, 1991), mutations, effet sur la mortalité et la division cellulaires, atteintes cérébrales chez les rongeurs exposés avec une efficacité biologique relative des formes OBT/HTO = 3 (Balonov et al., 1993 ; Wang et al., 1999 ; Hamby et Palmer, 2001 ; Richardson et al., 2003), efficacité sous-estimée d’un facteur 12 dans le cas de la nourriture « grain » (De Vol et Powel, 2004), toxicité augmentée d’un facteur 10 à 104 chez les rongeurs quand le tritium est lié à certaines molécules biologiques (Lambert et Clifton, 1967, 1968 ; Streffer et al., 1977 ; Rytömaa et al., 1979 ; Yamada et Yuwaka, 1984, Müller et al., 1986). En cas de contamination aiguë par du tritium lié, les risques à court terme seraient selon Lebaron-Jacobs et Flüry-Hérard (2007) 2 à 3 fois plus élevés. En ce qui concerne les études portant sur l’eau tritiée, il convient en outre de tenir compte de situations particulières où son temps de séjour dans l’organisme et par conséquent ses effets biologiques sont plus importants que ce qui est habituellement retenu. C’est ainsi le cas de l’accumulation de tritium sous forme d’eau tritiée dans l’espace extra cellulaire de l’ADN (Health Protection Agency, 2007). 3 2 L’évaluation de la dose efficace engagée Cette question comporte plusieurs aspects, qui ne sont d’ailleurs pas sans lien avec le point précédent. La dose engagée dépend tout d’abord des caractéristiques de l’exposition. Les études expérimentales disponibles portent en grande partie sur des expositions à de fortes doses de tritium. Pourtant, l’impact d’une exposition chronique pourrait être supérieur d’un facteur 2 à celui d’une exposition aiguë à la même dose de tritium, qu’il s’agisse d’eau tritiée ou de tritium organiquement lié (Lebaron-Jacobs et FlüryHérard, 2007). Cette estimation est à mettre en perspective avec le facteur d’efficacité relative de 0,5 retenu à cet égard par la CIPR. Elle reviendrait donc à conclure à une sous-estimation d’un facteur 4 de l’efficacité d’une exposition à faible dose et faible débit de dose. En marge de ces évaluations, la question est posée de la forme de la courbe dose-effet aux faibles et très faibles doses. Concernant par exemple la survie de certaines lignées de cellules de rongeurs exposées à des doses croissantes de thymidine tritiée, Sainteny et al. (2008) font ainsi état d’un effet délétère proportionnellement beaucoup plus important aux très faibles doses (courbe biphasique). De telles observations ont au demeurant été réalisées par de nombreux chercheurs avec d’autres matrices et d’autres radioéléments ou d’autres types de rayonnements (e.g. Zakaet al., 2002). En outre, l’effet n’est pas connu d’une exposition cumulée sur toute une vie, de surcroît de manière variable au cours du temps comme c’est le cas pour les travailleurs du nucléaire ou les populations vivant autour des sites nucléaires. Enfin, le contexte dans lequel la dose est délivrée mérite également d’être pris en considération (unités de concentration en tritium dans le milieu et discrimination isotopique par exemple). Par ailleurs, l’évaluation de la dose efficace engagée repose sur des modèles biocinétiques qui postulent le principe d’une répartition homogène de la dose reçue et sur des données relatives aux effets d’une irradiation externe, alors que le tritium organiquement lié n’est pas uniformément réparti dans l’organisme et que la contamination est le seul mode d’exposition au tritium. Les études portant sur la distribution et le temps de séjour du tritium dans les organes et les tissus sont peu nombreux. Hisamatsu et al. (1992) font ainsi état de fortes concentrations de tritium dans les tissus osseux de la cage thoracique de sujets japonais comparées à celles que l’on trouve dans d’autres tissus, et d’une grande variabilité de sa période biologique (57 ans et moins de 6 ans pour les cartilages des côtes et le sternum respectivement). Divers auteurs considèrent aujourd’hui que le temps de séjour du tritium dans l’organisme doit être réévalué. Lebaron-Jacobs et Flüry-Hérard (2007) distinguent ainsi : une période biologique de 10 jours pour plus de 92 % du tritium ; des périodes biologiques moyennes, variables en fonction de l’âge, de 0,75 à 22 jours en fonction des sous-compartiments pour moins de 3 % du tritium ; une période biologique moyenne d’environ 450 jours pour moins de 1 % du tritium. Néanmoins la question de la période biologique du tritium organiquement lié nécessite d’être approfondie en lien avec sa distribution et sa rémanence dans les organes et les tissus.
RkJQdWJsaXNoZXIy NjQ0NzU=