237 Point de vue de l’IRSN sur les questions clés et sur les pistes de recherche et de développement d’exposition des organismes vivants, puis à utiliser des coefficients de dose unitaire déterminés par le calcul. Ces coefficients établissent une relation entre les activités des radionucléides soit dans les milieux de vie (exprimées en Bq/L ou Bq/kg), soit dans les organismes vivants (Bq/kg de tissu), selon la voie d’exposition considérée, et les doses ou les débits de dose absorbée (Gy ou Gy par unité de temps) reçus par les organismes. Ces coefficients ont été déterminés pour trois séries d’organismes de référence, animaux ou végétaux, respectivement pour les écosystèmes terrestre, aquatique continental et marin. Actuellement, les hypothèses soutenant leur mode de calcul ne sont valides que pour le tritium sous forme HTO dans le milieu d’exposition (distribution homogène) et la valeur déterminée est proche de 3.10-6 µGy/h par Bq/kg de tritium incorporé, pour l’exposition interne, quel que soit l’organisme considéré. Cela signifie qu’un organisme contaminé à hauteur de 106 Bq/kg (situation jamais observée dans l’environnement français) serait exposé à un débit de dose d’environ 3 µGy/h. L’IRSN considère que la méthode actuellement utilisée pour déterminer les doses reçues par les organismes non humains exposés au tritium présent dans leur milieu de vie est très simplifiée et uniquement adaptée au tritium libre, en supposant une distribution homogène ; elle pourrait faire l’objet d’améliorations afin de mieux tenir compte du tritium organiquement lié auquel ces organismes pourraient être exposés. En effet, le tritium organiquement lié peut se trouver fixé à long terme dans des constituants cellulaires (rémanence) et irradier des cibles biologiques radiosensibles, notamment l’ADN, alors que celles-ci sont peu atteintes par le rayonnement émis par le tritium sous forme HTO, en raison du faible parcours moyen de ce rayonnement. En conséquence, l’IRSN estime que les éventuels effets biologiques du tritium organiquement lié ne sont pas correctement pris en compte dans les modèles dosimétriques applicables aux organismes vivant dans les différents écosystèmes en raison d’un déficit de données expérimentales à ce sujet. Ainsi, dans le cadre des expérimentations en milieu contrôlé projetées par l’IRSN, mentionnées au paragraphe 3.3, il est prévu d’étudier les effets de la rémanence du tritium à différentes échelles d’observation du vivant, en considérant les différentes formes de tritium dans la source d’exposition (eau tritiée, molécules organiques). Ces expérimentations porteront sur un nombre limité d’espèces représentatives des écosystèmes d’eau douce et marins : des micro- crustacés (Daphnia magna), des vers nématodes (Caenorhabditis elegans) et des mollusques bivalves (Crassostrea gigas et Mytilus edulis). Les données acquises lors de ces expérimentations devraient permettre de savoir s’il est nécessaire de raffiner les modèles de calcul de dose ou, au contraire, s’il est acceptable de conserver des modèles simplifiés tels que ceux utilisés jusqu’à présent. 4 2 Connaissances sur les effets nocifs du tritium Concernantleseffetstoxiquesdutritiumsurlesorganismesnonhumains, les données disponibles provenant d’études scientifiques ne portent que sur des animaux (invertébrés ou vertébrés) et principalement la forme HTO. Il n’existe aucune donnée relative à la toxicité du tritium pour des végétaux. Des travaux récents portant sur l’exposition au tritium d’un mollusque marin (Mytilus edulis) au stade de l’œuf et au stade adulte, ont mis enévidenceune grande sensibilitéde cette espèce àpartir de certaines valeurs de débit de dose induit par le tritium incorporé : des dommages à l’ADN ont été observés à partir de 13 µGy/h et des conséquences cytogénétiques (aberrations chromosomiques) sont apparues de façon significative dès 1,3 µGy/h. Des effets sur le développement deDaphnia magna (micro-crustacé aquatique) rapportés dans la littérature ont été observés à partir de 3 µGy/h et s’aggravent au fil des générations. Les mécanismes à l’origine de ces effets et leurs conséquences écologiques sont méconnus à ce jour. Il est important de souligner que les débits de dose pour lesquels des effets ont été observés pour ces espèces sont significativement plus faibles que la valeur de 10 µGy/h habituellement considérée comme critère de protection des écosystèmes soumis à une irradiation chronique par des rayonnements gamma. Même si ces débits de dose correspondent à des activités de tritium dans les milieux nettement plus élevées que celles observées dans l’environnement actuel, y compris auprès des installations nucléaires, il est nécessaire de conforter la robustesse des évaluations de risque du tritium sur les écosystèmes car : • les débits de dose estimés à partir de la concentration du tritium dans le milieu de vie résultent de calculs simplifiés, réalisés sous l’hypothèse d’un équilibre instantanée (i.e., facteur de bioconcentration égal à l’unité) entre le milieu ambiant et l’organisme exposé au tritium ; • les débits de dose ainsi calculés ne sont pas pondérés pour prendre en compte l’efficacité biologique du rayonnement bêta, par manque de connaissances à ce sujet (voir également § 4.1 et 4.3). Dans ces conditions, ils ne peuvent en principe pas être directement comparés à un débit de dose sans effet déterminé à partir de données d’écotoxicité chronique obtenues sous irradiation externe par des rayonnement gamma. Ainsi, contrairement à ce qui est habituellement observé pour la toxicité des rayonnements gamma par irradiation externe, les données d’écotoxicité disponibles pour le tritium indiquent que ce sont les invertébrés et non les vertébrés qui apparaissent les plus sensibles. Même si les niveaux d’exposition observés actuellement dans l’environnement ne laissent pas présager de risque significatif pour ces organismes, l’IRSN prévoit de poursuivre des recherches visant à mieux connaître les effets toxiques du tritium, en privilégiant l’étude des invertébrés aquatiques, d’une part pour confirmer cette sensibilité plus élevée des invertébrés en élargissant la diversité des espèces testées, d’autre part, si cette confirmation est avérée, pour rechercher les mécanismes spécifiques à l’origine des effets constatés. L’IRSN prévoit également de mener des études expérimentales sur un invertébré ayant un court cycle de vie (Daphnia magnaouCaenorhabditis elegans) pour mieux comprendre et quantifier le risque d’induction et de transmission transgénérationnelle d’altérations génétiques, telles que rapportées dans la littérature scientifique. Les données scientifiques issues de ces recherches devraient permettre de modifier ou d’adapter, si nécessaire, le critère actuellement considéré pour la protection écologique vis-à-vis des rayonnements ionisants, suite aux récents travaux européens (ERICA, 2006). 4 3 Connaissance de l’efficacité biologique relative (EBR) du tritium L’EBR d’un type de rayonnement donné est défini par le rapport entre la dose de rayonnement de référence (X ouγ) et la dose du rayonnement à tester (le rayonnement βdu tritium dans le cas présent) qui produisent le même effet biologique. L’expérience montre que l’EBR dépend de l’espèce animale ou végétale (ou du type de cellules) considérée, de l’effet biologique étudié et des conditions d’irradiation (type de rayonnement, dose, débit de dose, fractionnement des doses). La notion d’EBR a principalement été historiquement développée pour la radioprotection humaine. A ce titre, il existe très peu de données concernant l’efficacité biologique relative du tritium pour les espèces non humaines autres que des mammifères ; par ailleurs, les critères d’effet dont la sensibilité relative au tritium par rapport à rayonnement gamma a été étudiée, portent essentiellement sur la survie cellulaire et l’apparition de dommages de l’ADN in vitro. Ils sont donc peu pertinents pour une interprétation sur un plan écologique, contrairement à des critères d’effet tels que ceux relatifs à la croissance ou à la capacité reproductive, directement interprétables en termes d’impact sur la démographie des populations d’espèces végétales ou animales. 6 Les effets biologiques de nature déterministe désignent les pertes de fonction d’organes ou de tissus apparaissant de manière systématique lorsque ces organes ou tissus reçoivent une dose dépassant un seuil donné. L’importance ou la gravité des pertes de fonction augmente avec la dose reçue au-delà de ce seuil.
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